L’Ukraine est depuis huit mois le théâtre de crimes de guerre atroces. Depuis le début de l’invasion, les forces russes n’ont cessé de semer la violence sur leur passage, et le viol ne fait pas exception. Très tôt dénoncées par les autorités et les victimes ukrainiennes, les violences sexuelles commises dans le cadre du conflit ont ému la communauté internationale.
Mais si l’Ukraine a mis en lumière cette problématique, les violences sexuelles en temps de guerre ne sont pas une spécificité de ce conflit. Le viol est une arme redoutable pour détruire, humilier ou semer la terreur au sein d’une population. Il a toujours été utilisé par les soldats comme stratégie militaire, néanmoins ce phénomène s’est accru depuis le vingtième siècle.
Une arme silencieuse
Crime silencieux, le viol de guerre offre une certaine impunité à celui qui le commet. Pramila Patten, représentante spéciale du secrétaire général de l’ONU sur les violences sexuelles commises en période de conflit, l’explique :
« Le viol, arme biologique, psychologique, à déflagration multiple, a cette singularité de ressembler au crime parfait puisque c’est le plus tu, le moins signalé, donc le moins condamné »
La honte, la peur des représailles ou le poids du traumatisme sont autant de facteurs qui poussent la victime à se taire, faisant du viol de guerre une arme terriblement efficace pour réduire son adversaire au silence. Les statistiques sont donc largement minimisées, voire quasiment inexistantes.
Une arme pernicieuse
L’instrumentalisation du corps des victimes de cette manière n’est donc pas anodine. Céline Bardet, juriste et fondatrice de l’association We are not weapon of war, identifie 3 objectifs au viol en temps de guerre.
Il constitue en premier lieu un “outil de nettoyage ethnique”. Lors d’un conflit entre deux communautés, la dominante va vouloir détruire l’identité culturelle de l’autre, effacer sa mémoire collective, la faire disparaître. Le viol n’affecte pas seulement la victime, mais tout son entourage. Au-delà des séquelles physiques et mentales, l’atteinte au corps de la femme apparaît comme une humiliation pour l’ensemble de la communauté, et engendre sa destruction. Dans le cas où le viol provoque une grossesse, il oblige la victime à élever un enfant dans la honte et la souffrance. Sinon, les victimes deviennent stériles en raison des mutilations commises durant le viol, empêchant la naissance de nouvelles générations.
Les violences sexuelles sont aussi employées par les groupes terroristes. La femme est réduite au rôle d’esclave sexuelle et d’outil de procréation, et dès lors, son corps devient une possession du combattant. C’est ce qu’explique Nadia Murad, à propos des violences perpétrées par Daesh sur sa communauté en Irak. Dans un témoignage livré à l’ONU en décembre 2015, l’activiste des droits de la femme et prix Nobel de la Paix raconte comment les Yézidies sont enlevées, puis vendues et mariées de force aux combattants de Daesh.
Enfin, le viol est un “outil économique ” redoutable, comme en République Démocratique du Congo par exemple. L’armée orchestre les tortures sexuelles sur les femmes et les enfants dans un unique but: celui de faire fuir les populations afin de s’approprier un lieu et exploiter ses ressources minières.
Les viols sont planifiés, organisés, mis en scène. Ils correspondent à une stratégie visant à traumatiser les familles et détruire les communautés
Denis Mukwege, gynécologue spécialisé dans l’opération des mutilations génitales en République Démocratique du Congo
Le poids du non-dit
L’action de Pramila Patten, de Céline Bardet et de bien d’autres acteur.ices, permet aux violences sexuelles en temps de guerre d’être progressivement mises en lumière, rendant possible un changement de regard sur cette problématique. Ce que l’on prenait auparavant comme un dommage collatéral, est désormais perçu comme une urgence humanitaire.
Néanmoins, parler de “viol en temps de guerre” occulte un aspect du préjudice, puisque le retour à la paix ne signifie pas la fin de la violence pour la victime. Cette dernière souffre sur le long terme de traumatismes psychologiques, de séquelles physiques considérables, et souvent, d’un isolement social.
Par ailleurs, l’absence de condamnation d’un viol institue un terreau fertile pour la propagation d’une culture du viol au sein de la sphère privée. Les témoins, et notamment les jeunes enfants, intériorisent cet acte de domination comme une arme, et grandissent dans un environnement banalisant la violence et le viol. Ils sont alors plus enclins à reproduire ce même schéma de brutalité au sein de leur cercle proche.
Il est donc primordial de mobiliser des ressources juridiques à l’échelle globale, permettant la poursuite des criminels, et la sensibilisation de la communauté internationale à cette problématique.
Mais le chemin vers une meilleure prise en charge du problème par les pouvoirs publics est encore long. La loi du silence qui pèse sur les violences sexuelles est encore oppressante et les crimes encore trop répandus. Alors, pour que cesse l’impunité, Pramila Patten exhorte à “sortir à tout prix du silence, qui est une licence pour violer”.
Mathilde Lenouvel & Clara Browarnyj
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